La Mer de la tranquillité
- Année de publication: 2023
- Pages: 304
- Auteur: Emily St. John Mandel
- Traducteur: Gérard de Chergé
- Titre original: Sea of Tranquility
- Éditeur: Rivages
De quoi ça parle?
De 1912 à 2401, différentes personnes vivent leur petite vie sans avoir conscience les uns des autres. Et pourtant, ils semblent avoir vécu le même étrange phénomène.
Et alors, t’as aimé?
Emily St. John Mandel est une autrice qui s’est fait connaître du grand public avec Station Eleven en 2016. Un roman post-apocalyptique dans lequel une grippe aviaire a détruit une bonne partie de la population. Loin de dépeindre un univers ultraviolent à la Mad Max, elle nous invitait à suivre une troupe de comédiens itinérants dans ce monde désolé, tout en alternant avec la description de la pandémie. D’un réalisme angoissant, le roman dépeignait avec beaucoup de justesse ce que pourrait être ce monde d’après où l’on ne pourrait plus utiliser notre réconfortante technologie. Ayant beaucoup aimé ce roman au ton si particulier, j’ai alors sauté celui-ci lorsque je l’ai vu dans ma bibliothèque communale.
La structure du roman est assez particulière. Pendant la première moitié de celui-ci, chaque partie va s’intéresser à un moment de vie d’un personnage n’ayant aucun lien avec les autres. On suivra ainsi un jeune lord anglais exilé au Canada en 1912, une jeune veuve en 2020 avant d’aller vers l’avenir avec une autrice à succès en 2203 et un employé d’hôtel en 2401. Ces récits en apparence indépendants laisseront tout de même rapidement à penser qu’il y a du voyageur temporel dans l’air. La seconde partie implacable et au déroulement maitrisé permettra de relier toutes les histoires dans une très belle conclusion.
Outre son approche science-fictionnelle qui aborde notre rapport à la réalité et au temps, il y a aussi un vrai talent de conteuse. À chaque nouvelle partie, Mandel arrive en quelques phrases à nous intéresser à un nouveau personnage et à nous faire ressentir sa personnalité, ses doutes et nous expliquer son histoire. C’est presque à regret qu’on leur dit au revoir pour faire de nouvelles rencontres. Il y a énormément de justesses dans tout cela et un travail sur la forme qui fait que chaque partie a son ton, en adéquation avec le personnage. La première, celle du dandy britannique, est plutôt drôle et ironique. Là, où celle de l’autrice nous fera ressentir la vie répétitive et morcelée d’une tournée de conférences par de courts paragraphes et de nombreuses ellipses. C’est vraiment un joli travail sur le texte et la narration. Les mésaventures de l’autrice résonneront d’ailleurs plutôt fort avec ce que nous avons pu vivre récemment. En effet, Mandel va mettre en scène une autrice ayant écrit un roman à succès sur une pandémie qui va se retrouver elle-même face à une pandémie. Sachant que la Mer de la tranquillité a été écrit en pleine pandémie, il y a une espèce de mise en abyme méta assez troublante.
La Mer de la tranquillité est un très bon roman dont l’appartenance à la science-fiction ne doit pas rebuter les allergiques au genre. Très rapidement, on portera plus d’intérêt aux personnages qu’au mystère temporel qui les a réunis, même si la conclusion à ce sujet est fort bien menée.