Les salauds dorment en paix
- Année de sortie : 1960
- Durée : 151 min
- Réalisateur : Akira Kurosawa
- Acteurs principaux: Toshiro Mifune, Kyoko Kagawa
- Titre original: Warui yatsu hodo yoku nemuru
- Pays d’origine: Japon
De quoi ça parle?
Alors que le directeur d’une grande administration japonaise marie sa fille, la cérémonie est quelque peu perturbée par un inspecteur qui embarque le maître de cérémonie pour une enquête de corruption autour d’un appel d’offres. Et il semblerait bien que la police détienne des informations fournies par une personne en quête de vengeance.
Et alors, t’as aimé?
Les salauds dorment, Kurosawa enrage
En 1960, Akira Kurosawa est un peu le boss du cinéma japonais. Malheureusement, la Toho, qui produit ses films, tient absolument à ce qu’il continue à réaliser des films en costumes. Les films de samouraïs ont la côte et s’exportent bien. Mais le réalisateur a également envie de parler de son époque, du Japon d’aujourd’hui et de la corruption qui gangrène l’administration japonaise. La Toho inquiète de se prendre un four, lui demande de cracher au bassinet. Kurosawa monte donc sa propre boîte de production et finance pour moitié le film.
Je pense que si vous êtes un habitué de monsieur G, vous savez déjà que je suis un grand amateur de Kurosawa que ce soit dans sa veine samouraï comme Sanjuro ou dans sa filmographie contemporaine comme Vivre. Alors que ce dernier se voulait plutôt positif même si assez cynique vis à vis de l’administration japonaise, on sent qu’avec les Salauds, Kurosawa ne se fait pas vraiment d’illusions sur la société japonaise où plus on est salaud, mieux on dort (titre original japonais). Les humains sont lâches, cupides et les pires d’entre eux sont corrompus et intouchables alors qu’ils représentent un vrai fléau pour la société. Dans ce film, il n’y aura pas vraiment de personnages sans reproche. Même le héros, dans sa quête de vengeance, aura recours à des moyens plutôt moches et immoraux pour parvenir à ses fins. Si la cause est juste ( et même ce point est discutable), il m’aura fallu du temps pour embrasser sa cause ou tout au moins ressentir de l’empathie pour ce héros longtemps monolithique. Mifune est comme à son habitude impeccable pour incarner ce personnage austère et froid à l’extérieur mais bouillonnant et plein de rage à l’intérieur. Une interprétation de très haut niveau.
En terme de réalisation, Kurosawa utilise énormément de plans larges comme pour laisser son spectateur se faire sa propre opinion sur ce qu’il voit en lui laissant toutes les cartes en main, sans diriger son regard ou lui faire épouser celui d’un des personnages pour forcer l’empathie. Le film peut donc paraître moins travaillé qu’à son habitude, mais ce serait une grossière erreur. Le mariage qui ouvre le film est un modèle de mise en scène. On voit tous ces pontes tentant de sauver les apparences et de poursuivre la mariage comme si rien n’était alors que les journalistes font des gorges chaudes en expliquant aux spectateurs les tenants et aboutissants de l’affaire de corruption et nous présentant les différentes personnages qui seront au coeur de l’histoire. On pourrait avoir une instruction un peu balourde et didactique mais Kurosawa alterne brillamment les séquences de malaise, d’humour et d’exposition donnant du rythme et de la tension à un banal banquet où il n’y aura aucun éclat, éducation japonaise oblige.
Avec les salauds dorment en paix, Kurosawa nous parle de son époque, des conséquences de la guerre, de la corruption qui gangrène son pays. Et pour se faire, il utilise son talent narratif pour réaliser un film noir et trouble où les repères moraux sont fuyants. Une fois de plus, je ne peux que vous le conseiller.